Alize MOUCHARD

Analyse du potentiel membranaire des bactéries : utilisation du colorant DiSC3(5)

par Alize MOUCHARD, jeudi 25 mars 2021, 12:12
 

I)               Objectifs

        La membrane bactérienne est une cible majeure de nombreux composés antimicrobiens. Ainsi, des tests de perméabilité membranaire in vivo (c’est-à-dire sur des bactéries vivantes) sont essentiels pour étudier le mode d'action de tels composés. L’analyse de potentiel membranaire chez les bactéries permet de révéler la formation de pores dans la membrane, une augmentation de la perméabilité ionique de la membrane, ou une action sur un transporteur d'ions (Brogden, 2005). L’un des colorants bien établi pour de telles mesures est l’iodure de 3,3′-dipropylthiadicarbocyanine (DiSC3(5)) auquel nous allons nous intéresser (te Winkel et al., 2016).

II)            Principe

        Le DiSC3(5) est un colorant capable de s’insérer dans les membranes hyperpolarisées. Il est libéré lors de la dépolarisation conduisant à une augmentation du signal fluorescent dans les dosages spectroscopiques. Ce colorant peut également être utilisé en microscopie à fluorescence afin d’évaluer l'hétérogénéité dans la population cellulaire (te Winkel et al., 2016).

III)         Mode opératoire

a)     Microscopie à fluorescence

        Afin de réaliser l’analyse de potentiel membranaire avec le DiSC3(5), les cellules doivent être cultivées dans du LB (lysogeny broth) sous agitation jusqu’à une phase de croissance exponentielle. Puis elles doivent être incubées 5 minutes avec le colorant à 2 µM (à 0,5-1 % de Diméthylsulfoxyde (DMSO), ce qui permet une solubilité optimale) et les agents antimicrobiens testés (avec un contrôle positif), avant d’être observées sous microscope à fluorescence. Pour cela, la suspension cellulaire est immobilisée sur une lame multipoint recouverte d’une fine couche d’agarose à 1,2 %. 0,5 µl de suspension cellulaire sont donc prélevés dans la culture et déposés sur la lame préparée, puis recouverts par une lamelle après séchage. La goutte de milieu appliquée fournit suffisamment de nutriments pour maintenir les cellules sous tension, mais l'accès à l’O2 sous la lamelle est limité, entraînant une perte graduelle du potentiel membranaire. Pour cette raison, il est important de réaliser l’observation microscopique dans les 10 minutes suivant le dépôt de la lamelle (te Winkel et al., 2016). La quantification de la fluorescence cellulaire peut se faire de manière semi-automatisée grâce au logiciel ImageJ (Vischer et al., 2015).

b)    Dosage spectrométrique

        Les mesures fluorométriques du potentiel de membrane peuvent être réalisées sur des plaques de microtitration en polystyrène noir et compatibles avec un fluoromètre à température régulée, capable d'excitation et de détection aux longueurs d'onde requises. Les mesures sont effectuées directement dans du milieu LB supplémenté avec 0,5 mg / ml de BSA (Bovine Serum Albumin), permettant de réduire l'absorption du DiSC3(5) sur les surfaces en polystyrène.

        Une densité cellulaire et une concentration de colorants optimales se sont avérées être les paramètres clés déterminant le rapport signal sur bruit dans ce test. C’est pourquoi ces paramètres doivent d’abord être déterminés lors de l'adaptation de ce test à de nouvelles espèces bactériennes ou milieux.

        135 µl de cellules diluées sont transférées sur la plaque de microtitration et la fluorescence est suivie pendant 2 à 3 minutes, afin d'obtenir des valeurs de fluorescence du milieu et du fond cellulaire. Après avoir obtenu une ligne de base, le DiSC3(5) dissous dans du DMSO est ajouté à chaque puits à une concentration finale de 1 μM DiSC3(5) et 1 % de DMSO. La désactivation de la fluorescence est mesurée jusqu'à ce qu'une intensité de signal stable soit obtenue, suivie de l'addition des composés d'intérêt, sans oublier le témoin positif approprié.

        Si la dépolarisation est lente, la croissance cellulaire s’avère entraîner un changement progressif des valeurs de fluorescence observées avec l'échantillon témoin non traité. Une inhibition de la croissance cellulaire pour supprimer ce décalage et entraîner des niveaux de fluorescence stables est donc nécessaire.

        Afin de maintenir une aération appropriée au moment des mesures, et donc maintenir un niveau de fluorescence stable, les plaques de microtitration doivent être soumises à une agitation rigoureuse entre chaque point de mesure (te Winkel et al., 2016).

IV)         Présentation des résultats

a)     Microscopie à fluorescence


Figure 1 : Bacillus subtilis observé en contraste de phase (panneau de gauche), exprimant la GFP-MinD (panneau du milieu) et colorées au DiSC3(5) (panneau de droite) en l'absence et en présence de gramicidine (5 μM), connu pour engendrer une dépolarisation de la membrane (te Winkel et al., 2016).

b)    Dosage spectrométrique


Figure 2 : Changements d'intensité de fluorescence de DiSC 3 (5) dans une suspension cellulaire. Les points temporels de l'ajout de colorant et de gramicidine sont mis en évidence par des flèches. Le graphique représente la moyenne et l'écart type de trois répliques techniques (te Winkel et al., 2016).

V)            Interprétation des résultats

a)     Microscopie à fluorescence

        La gramicidine étant connue pour engendrer une dépolarisation membranaire chez B. subtilis, la figure 1 montre une forte diminution de la fluorescence DiSC3(5) et une délocalisation de MinD lors de la dépolarisation. Ainsi, lorsque l’agent anti-bactérien étudié a un effet sur la dépolarisation membranaire, la fluorescence devient moins importante (te Winkel et al., 2016).

b)    Dosage spectrométrique

        La figure 2 montre une forte extinction de la fluorescence DiSC3(5) lors de l'accumulation dans les cellules, et une augmentation de la fluorescence dans le milieu lors de la dépolarisation de la membrane. Le solvant utilisé pour solubiliser la gramicidine (DMSO) n'a aucune influence sur les niveaux d'intensité de fluorescence. Il est également possible de mesurer le niveau de dépolarisation membranaire grâce à la réalisation d’une gamme d’étalonnage réalisée grâce à différentes concentrations en K+ dans le milieu (te Winkel et al., 2016).

VI)         Intérêts et limites

        Le colorant DiSC3(5) est donc un colorant permettant une analyse précise du potentiel membranaire par deux méthodes : spectroscopique et microscopique. En microscopie, il s’agit d’un colorant rouge lointain, et donc compatible avec la GFP et la plupart des autres colorants couramment utilisés en biologie cellulaire bactérienne.

        Cependant, une exposition prolongée au DiSC3(5) est toxique pour les cellules bactériennes, ce qui empêche son utilisation en microscopie timelapse (te Winkel et al., 2016).

VII)      Références bibliographiques

Brogden KA (2005). Antimicrobial peptides: pore formers or metabolic inhibitors in bacteria? Nat Rev Microbiol 3: 238–250

te Winkel JD, Gray DA, Seistrup KH, Hamoen LW, Strahl H (2016). Analysis of Antimicrobial-Triggered Membrane Depolarization Using Voltage Sensitive Dyes. Front Cell Dev Biol. doi:10.3389/fcell.2016.00029

Vischer NOE, Verheul J, Postma M, van den Berg van Saparoea B, Galli E, Natale P, Gerdes K, Luirink J, Vollmer W, Vicente M, et al (2015). Cell age dependent concentration of Escherichia coli divisome proteins analyzed with ImageJ and ObjectJ. Front Microbiol. doi: 10.3389/fmicb.2015.00586


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