La membrane bactérienne est une cible
majeure de nombreux composés antimicrobiens. Ainsi, des tests de perméabilité
membranaire in vivo (c’est-à-dire sur
des bactéries vivantes) sont essentiels pour étudier le mode d'action de tels
composés. L’analyse de potentiel membranaire chez les bactéries permet de
révéler la formation de pores dans la membrane, une augmentation de la
perméabilité ionique de la membrane, ou une action sur un transporteur d'ions
(Brogden, 2005). L’un des colorants bien établi pour de telles mesures est
l’iodure de 3,3′-dipropylthiadicarbocyanine (DiSC3(5)) auquel nous
allons nous intéresser (te Winkel et al., 2016).
II)
Principe
Le DiSC3(5) est un colorant
capable de s’insérer dans les membranes hyperpolarisées. Il est libéré lors de
la dépolarisation conduisant à une augmentation du signal fluorescent dans les
dosages spectroscopiques. Ce colorant peut également être utilisé en
microscopie à fluorescence afin d’évaluer l'hétérogénéité dans la population
cellulaire (te Winkel et al., 2016).
III)
Mode opératoire
a) Microscopie à fluorescence
Afin de réaliser l’analyse de potentiel
membranaire avec le DiSC3(5), les cellules doivent être cultivées
dans du LB (lysogeny broth) sous agitation jusqu’à une phase de
croissance exponentielle. Puis elles doivent être incubées 5 minutes avec le
colorant à 2 µM (à 0,5-1 % de Diméthylsulfoxyde (DMSO), ce qui permet une
solubilité optimale) et les agents antimicrobiens testés (avec un contrôle
positif), avant d’être observées sous microscope à fluorescence. Pour cela, la
suspension cellulaire est immobilisée sur une lame multipoint recouverte d’une
fine couche d’agarose à 1,2 %. 0,5 µl de suspension cellulaire sont donc
prélevés dans la culture et déposés sur la lame préparée, puis recouverts par
une lamelle après séchage. La goutte de milieu appliquée fournit suffisamment
de nutriments pour maintenir les cellules sous tension, mais l'accès à l’O2
sous la lamelle est limité, entraînant une perte graduelle du potentiel
membranaire. Pour cette raison, il est important de réaliser l’observation
microscopique dans les 10 minutes suivant le dépôt de la lamelle (te Winkel et al., 2016). La quantification de la
fluorescence cellulaire peut se faire de manière semi-automatisée grâce au
logiciel ImageJ (Vischer et al.,
2015).
b) Dosage spectrométrique
Les mesures fluorométriques du potentiel
de membrane peuvent être réalisées sur des plaques de microtitration en
polystyrène noir et compatibles avec un fluoromètre à température régulée,
capable d'excitation et de détection aux longueurs d'onde requises. Les mesures
sont effectuées directement dans du milieu LB supplémenté avec 0,5 mg / ml de
BSA (Bovine Serum Albumin), permettant de réduire l'absorption du DiSC3(5)
sur les surfaces en polystyrène.
Une densité cellulaire et une
concentration de colorants optimales se sont avérées être les paramètres clés déterminant
le rapport signal sur bruit dans ce test. C’est pourquoi ces paramètres doivent
d’abord être déterminés lors de l'adaptation de ce test à de nouvelles espèces
bactériennes ou milieux.
135 µl de cellules diluées sont
transférées sur la plaque de microtitration et la fluorescence est suivie
pendant 2 à 3 minutes, afin d'obtenir des valeurs de fluorescence du milieu et
du fond cellulaire. Après avoir obtenu une ligne de base, le DiSC3(5)
dissous dans du DMSO est ajouté à chaque puits à une concentration finale de 1
μM DiSC3(5) et 1 % de DMSO. La désactivation de la fluorescence est
mesurée jusqu'à ce qu'une intensité de signal stable soit obtenue, suivie de
l'addition des composés d'intérêt, sans oublier le témoin positif approprié.
Si la dépolarisation est lente, la
croissance cellulaire s’avère entraîner un changement progressif des valeurs de
fluorescence observées avec l'échantillon témoin non traité. Une inhibition de
la croissance cellulaire pour supprimer ce décalage et entraîner des niveaux de
fluorescence stables est donc nécessaire.
Afin de maintenir une aération
appropriée au moment des mesures, et donc maintenir un niveau de fluorescence
stable, les plaques de microtitration doivent être soumises à une agitation
rigoureuse entre chaque point de mesure (te Winkel et al., 2016).
IV)
Présentation des résultats
a) Microscopie à fluorescence
Figure
1 : Bacillus subtilis observé en contraste de phase (panneau de gauche),
exprimant la GFP-MinD (panneau du milieu) et colorées au DiSC3(5)
(panneau de droite) en l'absence et en présence de gramicidine (5 μM), connu
pour engendrer une dépolarisation de la membrane (te Winkel et al., 2016).
b) Dosage spectrométrique
Figure
2 : Changements d'intensité de fluorescence de DiSC 3 (5) dans une suspension
cellulaire. Les points temporels de l'ajout de colorant et de gramicidine sont
mis en évidence par des flèches. Le graphique représente la moyenne et l'écart
type de trois répliques techniques (te Winkel et al., 2016).
V)
Interprétation des résultats
a) Microscopie à fluorescence
La gramicidine étant connue pour
engendrer une dépolarisation membranaire chez B. subtilis, la figure 1
montre une forte diminution de la fluorescence DiSC3(5) et une
délocalisation de MinD lors de la dépolarisation. Ainsi, lorsque l’agent
anti-bactérien étudié a un effet sur la dépolarisation membranaire, la
fluorescence devient moins importante (te Winkel et al., 2016).
b) Dosage spectrométrique
La figure 2 montre une forte extinction
de la fluorescence DiSC3(5) lors de l'accumulation dans les
cellules, et une augmentation de la fluorescence dans le milieu lors de la
dépolarisation de la membrane. Le solvant utilisé pour solubiliser la
gramicidine (DMSO) n'a aucune influence sur les niveaux d'intensité de fluorescence.
Il est également possible de mesurer le niveau de dépolarisation membranaire
grâce à la réalisation d’une gamme d’étalonnage réalisée grâce à différentes
concentrations en K+ dans le milieu (te Winkel et al., 2016).
VI)
Intérêts et limites
Le colorant DiSC3(5) est donc
un colorant permettant une analyse précise du potentiel membranaire par deux
méthodes : spectroscopique et microscopique. En microscopie, il s’agit d’un
colorant rouge lointain, et donc compatible avec la GFP et la plupart des autres
colorants couramment utilisés en biologie cellulaire bactérienne.
Cependant, une exposition prolongée au
DiSC3(5) est toxique pour les cellules bactériennes, ce qui empêche
son utilisation en microscopie timelapse (te Winkel et al., 2016).
VII) Références bibliographiques
Brogden KA (2005). Antimicrobial
peptides: pore formers or metabolic inhibitors in bacteria? Nat Rev Microbiol 3: 238–250
te Winkel JD, Gray DA, Seistrup KH, Hamoen LW, Strahl H (2016). Analysis of Antimicrobial-Triggered Membrane Depolarization Using
Voltage Sensitive Dyes. Front Cell Dev
Biol. doi:10.3389/fcell.2016.00029
Vischer NOE, Verheul J, Postma M, van den Berg van Saparoea B, Galli E,
Natale P, Gerdes K, Luirink J, Vollmer W, Vicente M, et al (2015). Cell age dependent concentration of Escherichia coli divisome
proteins analyzed with ImageJ and ObjectJ. Front
Microbiol. doi: 10.3389/fmicb.2015.00586