Génération de Cellules Souches Pluripotentes Induites (CSPi ou iPS cells)
I) Objectifs
L’objectif est de générer, à partir de cellules différenciées, des Cellules Souches Pluripotentes Induites (CSPi), c’est à dire des cellules capables de se différencier en n’importe quel type cellulaire de l’organisme.
II) Principe (Figure 1)
Au cours du développement embryonnaire, les cellules de l’organisme se différencient progressivement. Alors que les premières cellules avaient la capacité de former n’importe quel type cellulaire (totipotentes), les cellules se différencient peu à peu, perdant ainsi cette caractéristique en devenant pluripotentes, multipotentes, puis unipotentes. Une fois totalement différenciées, les cellules ne peuvent donner qu’un unique type cellulaire. A l’inverse, les cellules souches sont des cellules indifférenciées, capables de se différencier et de donner plusieurs types cellulaires. Les cellules pluripotentes et les cellules unipotentes n’expriment pas les mêmes gènes, et notamment pas les mêmes facteurs de transcription.
Connaissant cette différence, l’équipe du Dr Yamanaka a cherché à reprogrammer des cellules différenciées, afin qu’elles se dédifférencient et réacquièrent leur pluripotence (Takahashi et Yamanaka, 2006). En d’autres termes, cette équipe a souhaité reprogrammer une cellule différenciée pour qu’elle devienne une cellule souche. Pour cela, ils ont utilisé des facteurs de transcription exprimés spécifiquement dans les cellules souches : Oct4, Sox2, Klf4 et c-Myc. En 2006, l’équipe du Dr Yamanaka réalise finalement la dédifférenciation de fibroblastes de Souris en cellules souches et nomme ces cellules reprogrammées Induced Pluripotent Stem Cells (iPS cells), soit Cellules Souches Pluripotentes Induites (CSPi) (Takahashi et Yamanaka, 2006). En 2007, cette même équipe réalise la même expérience avec des cellules humaines (Takahashi et al., 2007).
Figure 1 : Génération et applications des Cellules Souches Pluripotentes Induites (Antony-Debré et al., 2013)
III) Mode opératoire (Figure 2)
Figure 2 : Méthodologie pour l’obtention de cellules souches pluripotentes induites (Maherali etHochedlinger, 2008)
La première étape consiste à réaliser des plasmides contenant les facteurs de transcription nécessaires à la reprogrammation des cellules différenciées en cellules souches. Les quatre facteurs de Yamanaka sont : Oct4, Sox2, Klf4 et c-Myc (Takahashi et Yamanaka, 2006). Néanmoins, pour certains types cellulaires, l’utilisation de seulement 2 ou 3 facteurs est suffisante (Chatterjee et al., 2016). Par ailleurs, il est aussi possible d’utiliser d’autres combinaisons de gènes comme Oct4, Sox2, Nanog et Lin28 (Yu et al., 2007). Finalement, il semble que seul Oct4 soit indispensable quelle que soit la combinaison de gènes utilisée (Germain, 2009).
Une culture cellulaire est réalisée à partir des cellules que l’on souhaite reprogrammer. Les facteurs de transcription sont intégrés dans les cellules par transgénèse, essentiellement via des rétrovirus (76% des publications) et des lentivirus (20% des publications) (Bellin et al., 2012), même si d’autres techniques restent possibles et utilisées.
Le transfert de gènes induit l’expression de ces facteurs de transcription, spécifiques du développement embryonnaire. Leur expression provoque la réactivation de gènes normalement exprimés lors du stade embryonnaire, et éteint l’activité des gènes somatiques, exprimés par la cellule différenciée. Ainsi, les cellules se dédifférencient et réacquièrent leur caractère pluripotent.
IV) Présentation des résultats
Figure 3 : Comparaison de la morphologie de cellules souches embryonnaires (ES), cellules souches pluripotentes induites (iPS-MEF24-1-9) et de fibroblastes embryonnaires de Souris (MEF)(Takahashi et Yamanaka, 2006)
Les cellules différenciées possèdent généralement une morphologie propre ; la reprogrammation en cellule souche provoque très rapidement un changement de morphologie de la cellule. La cellule acquiert alors une forme ronde, un grand nucléole et un cytoplasme assez petit (Figure 3).
Des études complémentaires peuvent permettre de vérifier que la plupart des gènes associés au stade embryonnaire (par exemple des marqueurs de pluripotence) sont bien exprimés dans la CSPi.
Il est également possible de tester la pluripotence des cellules. En effet, si elles correspondent bien à des cellules souches, elles doivent être capables de se différencier en cellules correspondant aux trois feuillets embryonnaires. On peut donc les tester en les faisant se différencier ex vivo ou in vivo (injection dans un animal). Ex vivo, les cellules peuvent être colorées avec des marqueurs spécifiques de différentes lignées de cellules.
V) Interprétation des résultats
Des cellules reprogrammées peuvent être considérées comme de véritables CSPi lorsqu’elles possèdent les caractéristiques suivantes (Maherali et Hochedlinger, 2008) :
Morphologie identique aux cellules embryonnaires
Auto-renouvellement illimité
Expression de gènes clés identiques à ceux exprimés dans les cellules embryonnaires
Réactivation du chromosome X chez les cellules femelles
Différenciation possible en lignées cellulaires correspondant aux trois feuillets embryonnaires
Formation d’un embryon chimérique (test possible uniquement hors humain)
Absence d'aberration génétique
VI) Intérêts et limites
La découverte des cellules souches pluripotentes induites a valu à John Gurdon et Shinya Yamanaka le prix Nobel de médecine en 2012. En effet, l’intérêt des cellules iPS est considérable en médecine : thérapie cellulaire, médecine régénérative, ... Ainsi, dans le cadre d’études de nombreuses pathologies et de thérapie cellulaire, l’utilisation de cellules embryonnaires humaines peut être remplacée par celle des CSPi, plus accessibles et plus acceptables d’un point de vue éthique. Ces cellules servent notamment de modèle d’étude de certaines pathologies et, dans le cadre de la recherche pharmacologique, les cellules iPS peuvent servir à l’étude de toxicité de nouvelles molécules.
Les cellules iPS jouent également un rôle important en médecine régénérative. Ainsi, en Allemagne, un enfant atteint d’une maladie génétique touchant la structure de la peau a reçu une greffe sur 80% de son corps à partir de cellules de sa propre peau. Ces cellules avaient préalablement été génétiquement modifiées pour obtenir des CSPi, se différenciant en cellules de peau saines ne portant plus la mutation génétique. Les CSPi permettent de ne pas être dépendant d’un donneur, de choisir un donneur compatible ou d’éviter les risques de rejets en utilisant les cellules du patient. Ces cellules semblent également prometteuses pour régénérer des organes.
Cependant, la méthode de génération des cellules iPS présente certaines limites. En effet, compte tenu de la technique de culture cellulaire employée, il n’est possible de générer des cellules iPS qu’à partir de cellules capables de proliférer. De plus, l’utilisation de vecteurs viraux pour introduire les gènes de dédifférenciation dans les cellules entraîne un risque de mutation et d’anomalies génétiques secondaires à la reprogrammation. Par ailleurs, il est fort probable que la reprogrammation ne soit pas complète. En effet, les modifications (notamment épigénétiques) que peuvent subir les cellules lors de leur différenciation ne sont pas supprimées lors de la reprogrammation par les facteurs de transcription de Yamanaka. Enfin, il n’est pas encore possible d’obtenir tous les types de lignées cellulaires à partir de cellules iPS : les cellules de muscle strié n’ont pas encore pu être recréées via l’utilisation de CSPi.
VII) Références bibliographiques
Antony-Debré I, Hamidi S, Norol F, Vainchenker W, Raslova H. (2013). Cellules souches pluripotentes induites : de l’histoire à l’application. Hématologie. 19 : 20-32.
Bellin M, Marchetto M, Gage F, Mummery C. (2012) Induced pluripotent stem cells: The new patient ?. Nature Reviews Molecular Cell Biology. 13 : 713-726.
Chatterjee I, Li F, Kohler E, Rehman J, Malik A, Wary K. (2016). Induced Pluripotent Stem (iPS) Cell Culture Methods and Induction of Differentiation into Endothelial Cells. Methods Mol Biol. 1357 : 311-327.
Germain D. (2009). Les cellules souches pluripotentes induites. Pathologie Biologie. 57(7-8) 555-559.
Maherali N, Hochedlinger K. (2008) Guidelines and Techniques for the Generation of Induced Pluripotent Stem Cells. Cell Stem Cell. 3 : 595-605.
Takahashi K, Yamanaka S. (2006). Induction of pluripotent stem cells from mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors. Cell. 126(4) 663-76.
Takahashi K, Tanabe K, Ohnuki M, Narita M, Ichisaka T, Tomoda K, Yamanaka S. (2007). Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblast by defined factors. Cell. 131(5) 861-72.
Yu J, Vodyanik MA, Smuga-Otto K, Antosiewicz-Bourget J, Frane JL, Tian S, Nie J, Jonsdottir GA, Ruotti V, Stewart R, Slukvin II, Thomson JA (2007). Induced pluripotent stem cell lines derived from human somatic cells.Science. 318(5858) 1917-20.